l'OuViPo c'est quoi?

L'Ouvroir de Ville Potentielle c'est quoi?

Musiciens, acousmaticiens, photographes, urbanistes, architectes, mathématiciens, géographes, artistes, poètes, écrivains, journalistes…sont invités à réfléchir sur des thèmes ayant trait à la ville, l’urbanisme, l’aménagement du territoire, l’architecture.

Ces textes doivent servir de terreau pour initier de nouveaux projets, faire de la ville un support d’initiatives créatives, révéler son potentiel esthétique et artistique.

5 décembre 2015

























Avant: on aime son architecture aérienne avec ses balcons filants ondulés, des toitures prêtes à vivre, prêtes à partager, des terrasses arborées avec de la haute tige, son accès parking végétalisé, de la piscine à ciel ouvert et de beaux parasols rouges! Et l'ombre, tu la vois l'ombre de la tour Sud sur ta terrasse de socle?
Après: on adore sa pelouse synthétique en rouleau, son rooftop! technique avec ses magiques éléments cachés, son accès parking optimisé, ses fosses à arbres bien délimités! Et le nouveau plateau de 7000m² rajouté, tu l'avais calculé?
Alors je me demande...Est-ce que c'est l'archi qui ne sait pas faire une pers? Est-ce que c'est l'agence de com qui ne sait plus compter? Est-ce que c'est la moulinette qui a moulinée?

9 avril 2015

Singularité quelconque


IMPRESSION de proximité

Ils ont rasé le bâtiment en face de chez mes parents. J'ai beau chercher, je ne sais plus à quoi il ressemblait. Seule l'image du vide demeure. La palissade, le trou, les devis affichés. Presque 20 ans à passer devant une structure et là le trou béant. La friche urbaine. La question: comment ai-je pu oublier? Comment ai-je pu passer à coté? Ce bâtiment, je ne l'aimais pas, mais je reste incapable d'en donner ne serait ce que la couleur de façade. Construit, il était déjà visuellement inexistant. Seule sa déconstruction provoque une volonté de réminiscence. Paradoxe total, ou question urbaine? Étonnamment, tout ce qui sortira de terre me choquera. Aimer ou ne pas aimer n'est pas la question. Car tout me paraitra étrange. De fait, cette inquiétante étrangeté n'est elle pas au fond le plus grand mal de l'urbaniste? La peur de l'inconnu? La peur d'une banalité différente?

Je vois ce tombeau entouré de pierres et je perds mes repères. Je perds d'un seul coup 20 ans d'habitudes. et "L'habitude ce monstre qui dévore tout sentiment...."


Anso Nomae, photographiste et rêveuse absconce.

25 mars 2015

Que vous inspire ce dyptique?



-New Delhi en avril 2008, sur DB Gupta Road (par Do)
-Bangkok en décembre 2008, sur Phetchaburi Road (par Yann)

Ce dyptique est une proposition de Yann Le Daré.


Urbaniste dilettante et globe-trotter à ses heures, s’attardant là où la rencontre est possible, il s’implique aujourd’hui dans l’habitat social en zone détendue… « ce qu’il ne sera jamais assez » ajoute-t-il.

3 mars 2015

Géographie musicale de la ville

Certaines villes, en tant que lieux et non pas seulement sièges d’institutions officielles, ont incontestablement constitué de puissants catalyseurs pour la création musicale. Il n’est qu’à citer Venise à travers les oeuvres conçues par Giovanni pour la place et la cathédrale San Marco ; de telles musiques tiraient parti de l’espace comme d’un élément compositionnel à part entière et contribuaient ainsi à magnifier le « génie du lieu », comme si elles le mettaient acoustiquement en scène. Londres a été également le terrain d’innombrables manifestations musicales de plein air qui se déroulaient en ses jardins (Vauxhall, Marylebone...) ou sur son fleuve. Un « portrait sonore » de la ville devint même, à l’époque élisabethaine, le prétexte d’une série de compositions portant le titre London Cries ; Richard Dering, Orlando Gibbons, Thomas Weelkes réussirent ainsi à incorporer à leur discours musical l’éventail vocal issu de l’activité urbaine et commerçante en une sorte de patchwork dont les effets de surprise et de discontinuité étaient savamment ménagés, afin de donner l’impression de la simultanéité des événements propre aux grandes cités. De tels effets sont aussi décelables dans Voulez ouir les cris de Paris de Clément Janequin, où l’aspect descriptif du vocabulaire musical est clairement mis en relief. Et c’est ainsi que la ville peut devenir l’instrument d’une musique ou d’une conception musicale.
Historiquement plus proche de nous, cette musicalisation du collage qu’incarne la ville, avec ses chances de rencontres acoustiques à la limite de l’imprévisible, est manifeste dans la pensée symphonique de Charles Ives, qui laisse se croiser dans ses oeuvres orchestrales des éléments musicaux des origines les plus hétérogènes (hymnes, musiques militaires...), précisément comme en milieu urbain ; on pourrait également évoquer l’esthétique d’Igor Stravinsky où l’emprunt, la juxtaposition, la coexistence de composantes apparemment disparates tiennent une place importante. Par exemple, un des mouvements de ses Quatre études (1914-1918), Madrid, est, selon ses propres termes, empreinte de la « cocasserie des mélanges inattendus exhibés par les pianos mécaniques et les casseroles automatiques dans les rues de Madrid et dans ses petites tavernes nocturnes ». Lieu privilégié du foisonnement, la ville favorise, en effet, les superpositions les plus diverses et, en raison de la polyvalence de ses fonctions, justifie toutes les combinaisons possibles.
L’influence de la ville comme génératrice de sources sonores est d’autant plus déterminante que l’art musical en viendra à s’affranchir, au cours des premières décennies du 20ème siècle, de la domination des instruments à hauteur déterminée, tentant, plus globalement, d’échapper à la discrimination entre instruments de musique et objets sonores à l’état brut et s’ouvrant ainsi aux horizons illimités des bruits. Une des premières oeuvres musicales futuristes, Réveil d’une capitale (1914) de Luigi Russolo, pour un ensemble de « bruiteurs », en porte explicitement la marque.
L’attirance pour des matériaux sonores ou caractères rythmiques encore inexplorés devient alors le fait de nombreuses oeuvres pour lesquelles les machines de la ville industrielles représentent un élargissement considérable du domaine sonore ; avec ses cloches électriques, enclumes, scies circulaires, trompes d’auto..., le Ballet mécanique (1927) de George Antheil témoigne de cette volonté de mettre en jeu des outils dont les fonctions apparaissent délibérément déviées au profit d’une valorisation du phénomène sonore. Plus indirectement, l’environnement urbain industrialisé, en fonction de l’énergie qu’il déploie, avec ses pulsions rythmiques et qualité de timbre d’une variété insoupçonnée, pénètre le style de Serge Prokofiev dans les années 20.
Cette infiltration potentielle de tous les phénomènes sonores au sein de la pensée musicale, sans qu’un quelconque principe de censure ne vienne limiter le vocabulaire sonore choisi par le compositeur, s’affirme, une fois de plus, une vingtaine d’années plus tard, dans The City Wears a Slough Hat (1942), production radiophonique de John Cage sur un poème de Kenneth Patchen. Les deux cent cinquante pages de la partition constituent un catalogue des bruits de la ville, considérés comme éléments musicaux à part entière et non pas seulement effets sonores narratifs. Toutefois, dans bien d’autre pièces ultérieures de Cage, le puzzle urbain est sous-entendu, sans qu’il y ait forcément de références explicites à la ville et à son environnement. C’est que la verticalité des activités qu’elle suscite engendre une libre polyphonie, au sens où le compositeur américain a pu personnellement pratiquer et vivre cette notion. La ville devient en effet ce qui défie toute possibilité de contrôle, de coordination, de prévision, invitant celui qui s’y plonge à se perdre dans un espace qui, complexe par nature, rend dérisoire toute ambition d’instaurer un ordre par trop rigide. Ainsi les Variations IV de Cage laissent-elles s’interpénétrer des sources sonores provenant de l’extérieur de la salle où est rassemblé le public, ce qui pourrait bien impliquer que le fondement de l’action musicale est précisément ce qui environne le lieu théâtral, et non ce qui est produit sur scène. L’ouverture des portes du théâtre, préconisée dans la partition, donne donc l’impulsion de se détourner d’un espace clos et s’assumer plutôt une activité tournée vers l’extérieur.
Le texte de Michel Butor « la musique, art réaliste » (Répertoire II, Paris, Éditions de minuit, 1964) pourrait bien constituer une manière de manifeste pour les musiciens qui ont su dépasser l’étroitesse du système sériel orthodoxe, hérité de l’École de Vienne, et explorer les ressources d’une figuration musicale dont les termes restaient à redéfinir. On assiste ainsi, à partit de la fin des années 50, à une mutation décisive, depuis l’abstraction formaliste de la période sérielle post-wébernienne, jusqu’à une reconquête des propriétés psycho-sociales du phénomène acoustique, à travers une prise en charge critique des présupposés culturels qu’il devenait illusoire de mettre plus longtemps entre parenthèses ; la réflexion sur la ville, lieu de conflits et d’échanges par excellence, en sera un des éléments moteurs. Henri Pousseur est un des compositeurs qui a le plus largement ouvert la voie à l’exploration de nouvelles facultés « démonstratives », figuratives, voire réalistes, du vocabulaire musical. Les Trois Visages de Liège (1961), musique de nature principalement électronique, à l’exception de quelques inserts instrumentaux préenregistrés, ainsi que de voix d’enfants récitant des comptines sur les noms des rues liégeoises (Dans le deuxième mouvement, Voix de la ville), a été élaborée pour être introduite au sein même d’une ville industrielle. Il s’agissait pour Pousseur de « la réaliser avec des moyens aussi exempts que possible de tout contexte culturel », non pour faire la description d’une ville, mais pour « la faire mieux apparaître, pour trouver les moyens permettant un courant d’échanges aussi vivant que possible entre ses habitants et cette cité qu’ils renouvellent sans cesse ».
Dans l’opéra Votre Faust (1961-1968), conçu en collaboration avec Michel Butor, Pousseur expose, de manière très affirmée, la dimension représentative du matériau musical ; dans certaines scènes de l’oeuvre, l’espace de la ville est acoustiquement suggéré, les degrés de présence des lieux (chambre, rue, cabaret, foire, port) étant graduées selon leur contexte dramatique. À travers de nouvelles modalités de figuration musicale, Votre Faust joue sur les rapports entre les différents lieux et donne ainsi corps à l’impression d’un paysage urbain qui sert de toile de fond au drame. À l’intérieur de celui-ci, l’auditeur/spectateur est amené à changer de point de mire, en accord avec la nature narrative des scènes. Tant par le traitement que les opérations électro-acoustiques permettent de faire subir à des matières sonores pré-enregistrées, « instantanés » d’un fragment de réalité saisi à travers le filtrage inévitable des outils de captation, puis modulés selon les caractéristiques des appareils de diffusion, que par la stylisation de cette réalité par le biais des conventions de l’écriture instrumentale, le compositeur peut désormais disposer d’un vaste clavier d’intervalles le séparant d’une donnée sonore brute. S’il ne craint pas que l’auditeur identifie l’origine d’une source sonore électroniquement travaillée, il peut jouer sur divers degrés de reconnaissance quant à la provenance du matériau sonore perçu, se jouer des images qui ne manqueront pas de surgir dans l’esprit des auditeurs, frayer des passages continus de l’abstraction à un quasi-réalisme.
Pourtant, la stylisation des bruits de la ville ou leur appropriation en fonction de critères essentiellement esthétiques semble, depuis les années 70, laisser progressivement la place à une attitude d’ordre critique face aux phénomènes sonores drainés par le milieu urbain. Il s’agira moins d’en tirer parti, au travers de l’inventivité personnalisée du compositeur, que de prendre position, en tant que musicien, c’est-à-dire individu en prise quasi permanente avec le sonore dans toutes ses acceptions, vis-à-vis des implications psychologiques de l’environnement propre à la ville. C’est dans ce sens que Raymond Murray Schaffer et les protagonistes du World Sound Project ont entrepris, au Canada, une telle analyse à partir de la ville de Vancouver dès le début des années 70. Dans ces conditions, le musicien met l’acuité de sa sensibilité auditive au service de la collectivité. Dans ce cas, la distance n’est pas celle qu’adopte le compositeur pour individualiser son oeuvre : elle est celle d’un auditeur destiné à vivre une écoute véritablement dynamique et réactive de ce qui l’entoure ; la musique, instrument pour une nouvelle pensée de l’urbanisme, se révèle susceptible d’accorder une portée plus vaste aux promesses contenues dans des partitions qui n’ont, jusqu’à maintenant, connu de réalisations que dans le cadre quelque peu restrictif et protégé du concert.
Dans Bonn Fire (1977), projet de Pauline Oliveros, la ville devient, si possible pendant une période de plusieurs jours, le siège d’actions théâtro-musicales qui se mêleront aux activités quotidiennes ; certains événements pourront être répétés jour après jour, jusqu’à ce qu’ils en arrivent à se fondre dans l’environnement. De la sorte, les relations entre l’activité usuelle de la ville et les actions exceptionnelles suscitées par Bonn Fire se produisent sans heurt, voire de façon insidieuse. Pauline Oliveros joue donc, en fait, sur l’ambiguïté du statut de l’acte théâtral. Sans qu’ils en soient conscients, certains individus pourront être perçus comme des participants au projet, car les termes de la proposition ne doivent pas être publiquement dévoilés ; des événements de tous les jours sembleront peut-être plus remarquables que ceux qui ont été délibérément incorporés dans la ville. À la suite d’une analyse topologique de ses propriétés acoustiques, il y aura amplification de certains phénomènes, déplacements de certains autres, dialogues d’éléments sonores étrangers - parfois de nature rituelle – avec ceux de l’environnement, mais nullement en rupture avec le milieu ambiant. Toutefois, des personnages costumés pourront venir se placer à des points stratégiques afin d’attirer l’attention sur un lieu qui recèle une particularité acoustique.
Le phénomène de la ville peut aussi étendre son influence sur la partition proprement dite qui, dans ce cas, revêtira l’aspect d’une carte géographique. C’est le cas de Musique pour la ville d’Eudoxie (1976) de Christian Rosset ; il s’agit là d’une partition graphique pour laquelle le compositeur a pris comme base de réflexion l’ouvrage d’Italo Calvino Les Villes invisibles (Éd. Einaudi, 1972). Le texte de Calvino n’est pas utilisé dans la réalisation musicale proprement dite, mais a motivé jusqu’au moindre tracé. Et le rapport qui existe, dans le texte de Calvino, entre la ville a l’état de plan, avec ses jeux de symétrie qui lui confèrent une impression d’ordre, et la ville en tant que structure d’accueil pour des activités qui la débordent de toute part jusqu’à la faire éclater, Christian Rosset l’expérimente en ce qui concerne le choix des signes graphiques qui laissent aux interprètes une large part d’initiatives ; ses  notations ne traduisent pas l’achèvement de la forme musicale à travers un jeu de proportions minutieusement dosées et fixées ; elles orientent l’interprète vers une lecture non linéaire, un résultat de nature fondamentalement polyvalente, possédant quelque chose de cette abondance de strates inhérente à la ville ; sans doute se perdra-t-on dans une telle partition comme dans Finnegans Wake de Joyce. Dans les partitions « cartographiques » de Rosset comme dans celles de Christian Wolff, tout se passe comme si la ville était vue d’avion, et son organisation en perpétuelle croissance peut déjà apparaître comme un principe moteur de composition.
En tant que compositeur cette fois, la représentation de la ville a fortement stimulé ma recherche de formes ouvertes, c'est-à-dire de formes musicales dans lesquelles la liberté accordée à l'interprète n'est pas seulement celle d'une combinatoire, mais d'une extension à apporter à un projet compositionnel initial ; la ville comme collage, réseau de promenades possibles, partiellement prédéterminées, avec ses prolongements à concevoir, les propriétés irréversibles de chacune, le taux d'altération, de destruction qu'elle peut subir avant de perdre son identité et en acquérir une nouvelle, m’est toujours apparue particulièrement propice à cet égard.
Dans le cas du jeu musical, l’enjeu a souvent été pour moi d'élaborer un processus "habitable", où seraient ménagés des centres d'intérêt diversifiés, évités les saturations, nivellements de toutes sortes, favorisées les possibilités de mutation, où l'on puisse traverser différentes couches de temps (historique, psychologique...) donc croiser divers niveaux de curiosité et de découverte; et ce n'est pas vers un équilibre entre les notions couplées de détermination/indétermination, ordre/désordre que j'ai cherché à tendre, ni vers l'instauration d'un quelconque système susceptible de donner l'illusion d'une exhaustivité, mais vers un processus dynamique, un mouvement perpétué qui n'exclut - a priori - aucune virtualité.

Jean-Yves Bosseur

Jean-Yves Bosseur est né en 1947 à Paris. Etudes de composition à la Rheinische Musikschule de Cologne (Allemagne) avec Karlheinz Stockhausen et Henri Pousseur, Doctorat d'État (philosophie esthétique) à l'Université de Paris I. Directeur de recherche au C.N.R.S. Professeur de Composition musicale au CNR de Bordeaux.
Prix de la Fondation Royaumont (France), de la Fondation Gaudeamus (Pays-Bas). Diapason d'or de l'année 1998 pour la Messe.         http://www.jeanyvesbosseur.fr