Ils ont rasé le bâtiment
en face de chez mes parents. J'ai beau chercher, je ne sais plus à quoi il
ressemblait. Seule l'image du vide demeure. La palissade, le trou, les devis
affichés. Presque 20 ans à passer devant une structure et là le trou béant. La
friche urbaine. La question: comment ai-je pu oublier? Comment ai-je pu passer
à coté? Ce bâtiment, je ne l'aimais pas, mais je reste incapable d'en donner ne
serait ce que la couleur de façade. Construit, il était déjà visuellement
inexistant. Seule sa déconstruction provoque une volonté de réminiscence.
Paradoxe total, ou question urbaine? Étonnamment, tout ce qui sortira de terre
me choquera. Aimer ou ne pas aimer n'est pas la question. Car tout me paraitra
étrange. De fait, cette inquiétante étrangeté n'est elle pas au fond le plus
grand mal de l'urbaniste? La peur de l'inconnu? La peur d'une banalité
différente?
Je vois ce tombeau entouré
de pierres et je perds mes repères. Je perds d'un seul coup 20 ans d'habitudes.
et "L'habitude ce monstre qui dévore tout sentiment...."
Anso Nomae, photographiste
et rêveuse absconce.
Henri-Pierre Jeudy dans le chapitre III « La ville sans qualité » de Critique de l’esthétique urbaine sous-titre et conclue avec : « La ville et les singularités quelconques » (p.143). Au-delà des questions esthétiques et de l’inflation expressive dont la ville est le théâtre, HPJ relie cet aspect de la ville à des considérations politiques. (Il précise qu’il emprunte cette expression à Giorgio Agamben).
RépondreSupprimerEn voici un extrait : «La ville […] est la source des singularités quelconques parce qu’elle demeure le grand théâtre des effets de réel qu’elle provoque à l’insu même de toute intervention artistique. Selon Jacques Rancière, « la révolution esthétique, c’est d’abord la gloire du quelconque ». Seulement le culte du quelconque bascule dans une esthétisation généralisée ou dans cette mode contemporaine d’un amour communautaire pour le banal, il repose sur le principe « tout a une valeur, il suffit de la reconnaître ». […] A tout moment, la ville rend possibles, par sa faculté d’absorption de ce qui paraît, de ce qui s’inscrit dans l’espace, des effets de réels dont la puissance fictionnelle se sépare de ses origines individuelles et distinctives. Territoire sans nom de la contingence des instants de la création, la ville demeure l’épiphanie des singularités quelconques. Ainsi réussit-elle a faire œuvre d’elle-même. »