4m², 330 euros, 200 euros le m²
de surface plancher, cuisine Ikea, abri de jardin, 2 x 2 mètres.
33 secondes
le temps qu’il faut à mon chewing-gum pour perdre toute saveur. Quelle est la
saveur de la ville ? Une foule d’intrus m’envahit et m’abrite, je n’ai
plus les clés qui fermaient mon esprit. La foule s’étend au-delà de moi et je l’aspire dans la noirceur de mon
costume. Le drap fait tout disparaître en dessous. Je n’ai plus de yeux pour
voir. Plus que des extensions de membre pour subir et voir venir. Je peux
compter les voitures qui défilent. Un individu derrière moi à droite. Je l’entends
se déplacer, je peux l’imaginer me regarder ou m’ignorer. S’il ouvre sa fenêtre
en rentrant chez lui, c’est probablement ce qu’il sentira. Mes pieds stabilisés
dans le bitume, mes hanches incrustées dans la pierre bordelaise. Le noir est
centripète, il avale tout. La tête vulnérable ainsi attentive. Le bruit des
moteurs se fait plus agressif le bruit du vent dans les feuilles plus
rassurant. La ville tout à coup devient autre chose qu’un jeu de reflets et de
miroirs : un jeu de pouvoir et de savoir que nous percevons en entrant
dans l’espace après avoir soulevé le rideau, après avoir revêtu la robe, après
avoir porté le drapeau. Une double lecture s’impose, celle de l’absolu
(apparent), celle du relatif (réel).
L’espace est d’autant mieux piégé qu’il fuit la conscience
immédiate. D’où peut-être la passivité des « usagers ». Seule une
élite discerne les pièges et n’y tombe pas. Le caractère élitique des
contestations et des critiques peut se comprendre ainsi. Pendant ce temps le
contrôle social de l’espace s’appesantit sur les usagers qui ne refusent pas la
familiarité du quotidien. Pourtant cette familiarité se dissocie. L’absolue et
le relatif tendent eux aussi à se
séparer. Déviée et/ou fétichisée, sacralisée et profanée, alibi du pouvoir et
impuissance, lieu fictif de la jouissance, la familiarité résiste mal à ces
contradictions.
Adeline Dugoujon septembre 2014. Le deuxième paragraphe est extrait de Critique de l'Esthétique Urbaine d'Henri-Pierre Jeudy, Editions Sens&tonka,
collection socio 10/Vingt, 2003
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